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Publié par Cécile

I - PRESENTATION DU ROMAN.

Dix-septième volume des « Rougon-Macquart : Histoire Naturelle et Sociale d'une Famille Sous le Second Empire », La Bête Humaine, sorti en 1890, traite essentiellement de la pulsion criminelle chez l'être humain, avec, comme toile de fond, le milieu ferroviaire du Second Empire, sur la ligne Le Havre-Paris.

L'intrigue paraît très simple et on peut la considérer comme une espèce de prototype à la Zola du roman noir du Xxème siècle. Une jeune fille, Séverine, séduite par un notable plus ou moins pédophile, le président Grandmorin, est mariée par celui-ci à un certain Roubaud, sous-chef de gare au Havre. Amoureux de sa jolie jeune femme, Roubaud ne s'aperçoit de rien jusqu'au jour où, à la suite d'une étourderie, Séverine lui révèle, sans le vouloir, le comportement que Grandmorin a eu à son égard quand elle était mineure. Pris d'une pulsion terrible sous l'effet de la jalousie, Roubaud décide de tuer Grandmorin le soir-même, avec la complicité de Séverine, en profitant du fait que tous trois doivent emprunter le même train.

Mais l'assassinat a un témoin en la personne de Jacques Lantier qui aperçoit la scène alors que, possédé lui-même par le désir de tuer une femme, sa cousine Flore en particulier, il fuyait cette dernière dans la campagne, près de la ligne de chemin de fer. Vue la vitesse des trains à l'époque, cette vision inventée par Zola pour les besoins de son intrigue, reste crédible.

Très vite, Roubaud comprend que Lantier se doute de quelque chose. Il pousse sa femme dans les bras du mécanicien et, aussi bizarre que cela puisse paraître, peut-être parce que Séverine a participé à l'assassinat, Lantier n'éprouve envers elle aucun désir meurtrier. Elle devient sa maîtresse, ils vivent une liaison heureuse, le jeune homme se croit enfin « guéri » … mais un jour, l'envie de tuer le reprend.

(...)

Lecture cursive - La Bête humaine

II – ANALYSE DU PERSONNAGE CHOISI : JACQUES LANTIER.

Jacques Lantier est le fils que Gervaise Macquart, la tragique héroïne de « L'Assommoir », a eu à quinze ans et demi de son amant, le chapelier Auguste Lantier. Le couple est parti à Paris, laissant, pour des raisons que Zola n'indique pas, cet enfant-là à la garde d'une tante paternelle, connue dans tout le livre comme Tante Phasie.

L'enfant grandit bien mais, malgré l'amour que lui porte sa tante, souffre, sans l'exprimer, de l'abandon apparent de sa mère. A l'adolescence, lors des premiers émois pubertaires, il comprend qu'il n'est pas comme les autres car, chaque fois qu'il cherche à avoir une relation avec une fille, lui montent à la tête des idées de meurtre.

Il entre dans les Chemins de Fer, y devient un excellent mécanicien – c'est-à-dire un conducteur de locomotive – et se consacre tout à son travail. Comme il a remarqué très jeune que l'alcool ne lui vaut rien, il s'abstient de boire et c'est l'occasion pour Zola, dans les premiers chapitres, de faire référence à la théorie de l'hérédité sur laquelle se fonde en partie le mouvement naturaliste : sa mère, sa grand-mère et son grand-père maternels buvaient = cette hérédité négative a «pourri » le sang de Jacques et est responsable de ses pulsions meurtrières. Mais, ce qui n'est pas l'habitude chez l'écrivain, c'est la seule fois où il fera allusion à cette théorie. Peu à peu, au fur et à mesure que se développe le roman, Jacques Lantier s'éloigne de cette « hérédité » pour devenir, avec un peu d'avance, le prototype du « tueur en série » qu'examinera sous tous les angles le Xxème siècle.

Lantier est un personnage qui, au début en tous cas, apparaît toujours comme en retrait. Connaissant son terrible penchant, il évite la société, particulièrement celle des femmes. Il s'implique aussi beaucoup dans la routine de son métier, routine qui a certainement sur lui un effet apaisant : c'est un excellent professionnel. Avec sa locomotive, affectueusement surnommée « la Lison », non féminin, il faut le souligner parce que ce n'est pas un hasard, et avec son chauffeur (l'homme qui assure la surveillance de la chaudière et du charbon qui la nourrit dans la locomotive), Pecqueux, il forme une sorte de « ménage à trois » - et on notera que les deux hommes le disent ou le sous-entendent parfois en plaisantant.

S'il se tient loin des femmes, Lantier est un homme relativement normal. On peut même lui suspecter une intelligence supérieure à la moyenne et, tout comme chez les tueurs en série – on s'en aperçoit bien sûr lors de ses crimes mais aussi à la fin, au procès de Roubaud et de Cabuche - est foncièrement incapable de la moindre empathie véritable. Tout comme ses victimes, jadis aimées presque à la folie, comme Séverine, sont pour lui des « objets », Roubaud et Cabuche, qui risquent pourtant leur tête à la fin du livre, ne lui inspirent aucune compassion. Le « tueur » a grandi en lui, s'est affirmé et, quand il pleure au procès, c'est sur lui qu'il pleure, sur son « malheur » personnel qui le pousse à tuer sans qu'il comprenne pourquoi, et non sur Séverine, encore moins sur les accusés dont il s'affirme pourtant l'ami. Il a inversé le processus : au début du livre, il se posait encore quelques questions tout en rejetant la faute sur sa mère, son père, etc … mais, à la fin, il ne se conçoit plus lui-même que comme la seule et unique victime de la situation. C'est lui qu'il faut plaindre et non les autres.

Pour autant, Lantier n'est pas antipathique. Il a des qualités réelles (courage, attachement au travail bien fait, affection réelle envers sa tante Phasie, intelligence, un charme certain qui s'ajoute à un physique assez avantageux) mais peu à peu, on dirait qu'il se laisse déborder par les côtés négatifs de sa personnalité (il cesse de se poser des questions, il tue, il accepte sa condition, il se perd dans sa course de femme en femme, se persuadant faussement – il est trop intelligent pour l'ignorer – que la prochaine sera la « bonne », celle qui le guérira, et se donnant ainsi comme une « excuse » pour tuer et tuer encore).

Bien qu'il intervienne dans l'histoire tout à fait par hasard – après tout, il n'a pas demandé à voir la scène de l'assassinat de Grandmorin – Lantier est ici le véritable « héros » - ou « anti-héros » comme on voudra. Ce n'est pas seulement parce qu'il appartient à la famille des Rougon-Macquart, c'est aussi parce que ce qu'il sait désormais sur les Roubaud fait de lui le pivot de l'action. De son silence, dépend l'innocence du couple lors de l'enquête sur la mort de Grandmorin. Et l'on peut penser que c'est autant un désir secret pour la jolie Séverine que l'attirance de son côté négatif envers tout ce qui, dans l'assassinat de Grandmorin, répond à sa noirceur et à son besoin de tuer personnels, qui le mettent en avant.

Du Jacques Lantier que nous avons connu au début du roman, ne nous reste à la fin que le professionnel impeccable qui, bien que capable de tuer individuellement avec le plus grand sang-froid et sans aucun remords, se sent responsable de la vie des voyageurs qu'il conduit d'un point à un autre. Cette caractéritique-là est la seule constante de Lantier et, paradoxalement, bien qu'elle soit positive et honorable, c'est elle qui le mène à sa mort.

Dans l'oeuvre de Zola, « La Bête Humaine » et Lantier sont tout à fait à part. Malgré le soin avec lequel Zola préparait ses romans, ce n'était peut-être pas prémédité. Si l'univers dans lequel évolue Lantier nous permet de « voir » le temps des locomotives à vapeur comme si nous y étions, si l'écrivain poursuit sa critique éternelle des passe-droits et des faveurs en tous genres dont bénéficient les gens appartenant aux classes privilégiées de la société, son roman est surtout une étude approfondie de la pulsion criminelle sexuelle, clairement exprimée en la personne de Lantier.

Sur ce plan, on peut s'imaginer sans peine que, par sa nature même d'artiste, Zola ressentait que, pour une fois, l'hérédité ne pouvait pas tout expliquer et qu'il pouvait y avoir une, si ce n'est plusieurs raisons à l'origine du comportement de Lantier. En ce sens, et malgré les réserves naturalistes, « La Bête Humaine » est un roman quasi visionnaire sur le thème du tueur en série. Et Jacques Lantier en est un prototype littéraire, même s'il l'ignore et si Zola donne l'impression d'y penser à peine.

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