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Publié par Youn

Confession - Eugène de Rastignac

Confession d'Eugène De Rastignac

 

Aujourd'hui que ma mort est proche, il me faut me confesser. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait guidé par la soif de luxe et de plaisir, et il faut bien admettre que je fus l'un des hommes les plus méprisables et respectés de son époque. Ma vie commença vraiment un beau jour de 1819, auparavant j'avais vécu comme n'importe quel autre jeune homme de la petite noblesse provinciale, pauvre et sans espoir. Mais en cette année 1819, le monde reprenait un cours plus favorable à un homme comme moi, en effet avec le retour de la monarchie en France, mon délicieux nom méridional, « de Rastignac », m'ouvrait les portes du monde.

En cette année 1819, je fus en effet propulsé dans le monde de bien curieuse façon, j'habitais alors une petite pension de Paris ou toute la misère du monde semblait s'agglomérer sous mainte formes. Il y avait là des jeunes gens sans le sou, des hommes ruinés, des bandits en cavale et quelques déshérités. Donc voilà dans quels bas-fonds commença l'année qui détermina le reste de ma vie. J'étais alors étudiant en Droit et cela me plaisait fort, mais comme tout homme qui découvre Paris, je rêvais de m’enivrer dans les salons et de vivre l'un de ses amours-passions que seul Paris peut nous offrir ! Or donc, cette année-là, je fis la connaissance de trois personnes qui devaient à jamais changer ma vie et me faire perdre mon innocence. Le premier portait un nom que personne n'a oublié, du moins dans l'enceinte de la Ville, Vautrin, la seconde était charmante au possible et fus ma plus secourable amie, elle était ma cousine et appartenait à la branche des Beauséant, enfin une jeune fille déshéritée, mademoiselle Victorine Taillefer. Le premier me rendit riche, la seconde me fit connaître le monde et la dernière n'était autre que l'objet des infâmes stratégies du premier. En effet, cette année-là Madame de Beauséant, ma cousine, me propulsa dans le monde, m'entraînant de fête en fête et me prodiguant les conseils qui me permirent de survivre dans le lieu le plus dangereux de Paris, les salons. C'est grâce à elle que je connus et séduisis ma première conquête, la jeune Delphine de Nucingen. Mais celui qui fit de ma vie ce qu'elle est aujourd'hui, aujourd'hui que ma mort est proche et que la maladie ronge ma chair, c'est cet infâme Vautrin. Ah, me voilà bien puni d'avoir cédé à ses propositions diaboliques, peut-être aurais-je dû vivre médiocrement pour ne pas attirer sur moi quelque colère divine ! Ainsi donc je me rendis complice d'un odieux marché. Victorine était une jeune déshéritée de la pension Vauquer que son père et son frère méprisaient, car le premier prétendait qu'elle n'était pas de lui. Néanmoins le vieux Taillefer était un homme dont la fortune était considérable et si le fils venait à mourir, nul doute qu'il rappellerait la fille et que l'homme qui l'épouserait deviendrait riche comme peu peuvent se vanter de l'être ! Le plan de Vautrin était donc simple : il s'arrangerait pour que le cruel Taillefer perde son fils et qu'un de ses amis ambitieux épouse la jeune Victorine et n'oublie pas, ensuite, de le récompenser grassement. Or il se trouvait en se temps-là un jeune homme qui écumait le monde mais manquait de moyens , cet homme, c'était moi. Ainsi donc Vautrin mit son plan à exécution malgré les protestations du jeune ignorant que j'étais ! Peu de temps après ces immondes événements, ma maîtresse madame de Nucingen, fille du père Goriot, un résident de ma pension avec qui je m'étais lié d'amitié, m'installa dans un magnifique appartement parisien et Vautrin fut arrêté. Tombé malade, Goriot mourut. Il avait consacré sa vie à ses filles, leur avait tout donné, s'était montré aimant, généreux, adorable, et il mourut seul et abandonné d'elles. Ce drame me fit enfin comprendre ce qui me devint une devise et un principe : rien ne sert d'être bon à Paris, car dans ce bourbier insondable qui métamorphose les vertus en chaînes, c'est par le vice que l'on triomphe. Ma vie semblait donc être toute tracée : j'avancerai dans l'ombre de mes maîtresses, toujours le dos courbés et sans cesse quémandant les faveurs et les cadeaux de l'une ou l’autre. Je vécus ainsi deux ans, mais je m'en lassai vite, et fus pris d'une langueur sans pareille qui ne me laissait en paix que pour dormir un peu. Un jour pourtant un courrier me parvint et me tira de la torpeur perpétuelle à laquelle j'étais accoutumé, l'enveloppe portait la phrase écrite à l'encre noire : « Vautrin vous salue bien ! ». Voici le contenu de cette lettre :

Je vous écris car je suis enfin libre, je me suis renseigné et il me semble que vous n'êtes plus aussi vif que lorsque je vous ai connu. Monsieur de Rastignac s'est-il donc résolu à tant de médiocrité ? Je ne peux y croire. Il me semble donc nécessaire de vous rappeler que la famille Taillefer cherche sans succès depuis deux ans un époux pour une jeune fille nommée Victorine. La jeune femme semble déplaire à tous ses prétendants par une perpétuelle tristesse. Ne se serait-elle jamais remise de quelque amour de jeunesse ? Au plaisir d'avoir bientôt l'avantage de converser avec vous.

Cette lettre m'emplit d'effroi, mais me fit reconsidérer ma position. Je vivais aux crochets de mes maîtresses, ridiculisant leurs époux, mais indéniablement, j'étais malheureux de ne pouvoir étaler la même richesse que les hommes que je voyais caracoler au bal et à la promenade. Une semaine plus tard ma décision fut arrêtée : j'irai chez les Taillefer avec la ferme intention d'épouser Victorine ! Quelques jours plus tard, donc, je m'y rendis et fus reçu comme un sauveur, comme l'homme qui enfin rendait le sourire à la jeune éplorée. L'affaire fut vite conclue car le père avançant en âge craignait de voir sa fortune entre les seules mains de la naïve Victorine. Le mariage fut convenu et le 22 du mois de juin 1822, je me mariai. Cette union me permit de subvenir aux besoins de ma famille. J'expédiai de l'argent à Angoulême pendant quelques années avant de décider que ce modeste pécule serait bien mieux employé au jeu, et que si par chance je gagnais, je pourrais augmenter la rente que je leur versais et permettre à mes sœurs de faire un bon mariage. Malheureusement, je perdis tout ce que d'habitude je leur envoyais, et sans jamais me refaire. Peu à peu le visage des miens s'estompait... En ce temps-là, ma maîtresse était encore madame de Nucingen, et bien que j'en ai eu d'autres, bien d'autres depuis, elle était la seule qui eût réussi à m'attacher à elle. Elle mourut cette année-là, emportée par un mal que nul ne sut expliquer ni guérir. Moi seul savait que le chagrin de me perdre l'avait emportée. Pour ma part j'étais un homme riche, mais un homme malheureux … En effet, vivre avec la fade Victorine s'avéra d'un profond ennui, et bien vite je me mis à multiplier les liaisons. La pauvre n'en savait rien. En 1827, nous eûmes un enfant, Charles. Bientôt il fut pour moi le seul objet de véritable intérêt. Certes, les maîtresses continuaient à défiler entre mes bras, mais chacune me semblait plus semblable aux précédentes, quant à mon épouse elle n'était pour moi que source d’ennui et d'affreux maux de crâne !

L'année 1830 fut indéniablement celle qui punit mon arrogance et mon infamie envers les femmes. En effet, vers la mi-mai, Victorine apprit par une malencontreuse confidence de l'une de ses amies mon aventure avec madame la comtesse De Villepertuis. Le soir, à mon retour, alors que je venais de régler une importante affaire, je la trouvai morte : son cœur, qui avait déjà plusieurs fois donné des signes de faiblesse, n'avait pas résisté à la douleur d'apprendre mon infidélité ! J'en fus désespéré ! Comment pouvais-je avoir causé tant de mal ? Je fus pris de folie et pris la décision de quitter Paris avec Charles, pour gagner les Amériques. Mon départ fut précipité. J'avais la volonté de retrouver Vautrin et de devenir son associé dans la plantation qu'il avait acquise, je m'embarquai donc pour la Guyane. La traversée fut longue et pénible, dès le deuxième jour, mon fils fut pris de fièvre, il fut emporté rapidement. Je maudis le Ciel, et ce dernier prit plaisir à me punir encore de mon insolence à son égard, car je contractai peu après la tuberculose. Les médecins m'affirmèrent que j'étais condamné, vu mon âge, à mourir dans l'année qui suivait. Quelque jours plus tard, j'arrivai aux Amériques, malheureusement je fus incapable de découvrir où se trouvait Vautrin.

Aujourd'hui, j'attends avec impatience la mort qui m'appelle...

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